Revenu de plus plusieurs mois de relevage, après un silence presque complet (si ce n’est le rôle fidèle qu’il a pu tenir, dans un état d’utilisation amoindri, durant les offices religieux de cette période) de trois ans, l’orgue de Saint-Barnard s’apprête à vivre deux très grands moments musicaux. Victime, lui aussi, de l’orage de grêle de juin 2019 qui a dévasté la ville et ses environ, l’orgue de la collégiale avait vu ses longs tuyaux emplis d’une multitude d’éclats du vitrail de l’Apocalypse, œuvre de Georg Ettl, lacéré par les grêlons. Les traces des outrages du temps, et d’un usage quasi-quotidien, étaient, elles aussi, audibles et visibles malgré la fiabilité de la mécanique reconstruite par Danion, à la fin des années 1970. L’instrument, construit par Nicolas Chambry, livré en 1843, avait besoin de ce « relevage » que les Amis de l’orgue appelaient de leurs souhaits. Seule conséquence heureuse de l’orage dantesque, cette opération a donc été lancée à cette occasion par la Ville, propriétaire de l’instrument, avec un financement conjoint de la DRAC Auvergne Rhône Alpes, des Amis de l’orgue et de donateurs privés. Michel Formentelli et ses collègues de l’atelier Saby, de Saint-Uze, ont accompli un travail remarquable, digne de leur réputation. On connaît en effet la filiation du premier, fils de Bartolomeo Formentelli, illustre facteur d’orgues à qui l’on doit de grandes réalisations (restitution de l’instrument d’Albi, l’instrument de Saint-Louis à Grenoble, celui de l’Abbaye de Mouzon et d’une centaine d’orgues neufs ou restaurés, de Lourdes à Rome, de la Suisse à l’Italie, jusqu’à un orgue alimenté par une fontaine dans les jardins du Quirinal, le palais de la présidence italienne à Rome. Son fils, Michel, œuvre depuis plusieurs années et bâti sa propre renommée par un travail d’orfèvre patient et minutieux, très largement salué par les connaisseurs. L’entreprise Saby, fondée par Henri, reprise par son fils Pierre, trop tôt décédé, est l’une des grande manufactures françaises, connue pour son sérieux et son art. Saint-Barnard était entre de bonnes mains, sous la maîtrise d’œuvre d’Eric Brottier. Reconnaissant les qualités de cet orgue, l’intérêt de ses parties anciennes, fermes et parlantes, mais aussi la qualité du travail de Georges Danion, qui a reconstruit l’instrument sous la houlette du compositeur Maurice Duruflé, pour en faire un instrument « néoclassique » typique de son époque, les artisans de cette campagne de travaux ont su mettre en lumière les timbres, leur donner une nouvelle cohérence, renforcer sa déclamation et lui rendre le « peps » que les années lui avaient progressivement retiré. Propre comme un sou neuf, dépoussiéré, revêtu d’huile de lin, sa mécanique retendue, sa soufflerie rénovée, ses peaux et ses cuirs, ses vergettes de sapin et ses porte-vent, ses sommiers ayant fait l’objet de soins attentifs, l’orgue est prêt à sonner à et à poursuivre sa vie musicale.
Avant la prestation du maître Vincent Warnier, successeur de Maurice Duruflé à la prestigieuse tribune de Saint-Etienne-du-Mont, à Paris, concertiste renommé que Romans peut s’enorgueillir d’accueillir, c’est un des plus éminents représentants de la jeune école d’orgue française, déjà reçu à plusieurs reprises à Saint-Barnard et qui parcourt le monde de l’orgue en y déployant un talent novateur, qui aura la charge de faire sonner l’orgue pour son retour à la vie. Paul Goussot, né à Bordeaux il y a une trentaine d’années, anime la vie organistique française de son attachante et originale personnalité. On l’a entendu cet été dans de nombreux lieux prestigieux de France et à l’étranger.
Organiste, claveciniste, improvisateur, Paul Goussot est titulaire de l’orgue Dom Bedos (1748) de l’Abbatiale Ste-Croix de Bordeaux. En 2014, il est nommé professeur d’orgue au Conservatoire de Rueil-Malmaison, succédant ainsi à une lignée de professeurs prestigieux : Marie-Claire Alain, Susan Landale et François-Henri Houbart. En 2019, il devient également co-titulaire du grand-orgue Cavaillé-Coll de St-Maurice de Bécons (1865) aux côtés de Thomas Monnet. Il est ainsi l’heureux titulaire de deux des plus beaux orgues de France, très différents dans leur style, ce qui prouve l’étendue de ses moyens d’interprète, à même de faire mettre en valeur les splendeurs sonores du XVIIIe et du XIXe siècle, si différentes !
Né en 1984 à Bordeaux, il est admis à l’âge de 16 ans au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où il reçoit l’enseignement d’Olivier Baumont, Blandine Rannou, Michel Bouvard, Olivier Latry, Jean-Claude Raynaud, Jean-Baptiste Courtois, Thierry Escaich, Philippe Lefebvre et Jean-François Zygel. Il y obtient 5 premiers prix en clavecin, orgue, harmonie, contrepoint, fugues et formes, les prix de basse-continue et d’improvisation, et deux Masters de pédagogie en clavecin et en orgue. Lauréat des concours internationaux de Bruges et de Saint-Maurice (Suisse), Paul Goussot remporte successivement le premier prix d’improvisation au concours international de Luxembourg, le premier prix d’improvisation du 26ème concours international d’orgue de St-Albans, puis en 2012, le premier prix et le prix du public au 49ème concours international d’improvisation de Haarlem. En octobre 2009, Paul Goussot est nommé First Young Artist in Residence à la cathédrale de La Nouvelle-Orléans. Lors de ce séjour, il donne plusieurs concerts à l’orgue et au clavecin, se produit avec des membres du Louisiana Philarmonic Orchestra. L’improvisation tient une place essentielle dans son activité. Passionné par le cinéma muet, il a accompagné plusieurs projections au Musée d’Orsay, à la Cinémathèque Française et à la Maison de la Radio (Cuirassé Potemkine d’Eisenstein). Régulièrement invité en tant qu’enseignant en France et à l’étranger, Paul Goussot a animé des classes de maître au CNSMDP, à l’Académie d’Altenberg (aux côtés de Wolfgang Seifen et Johannes Mayr), et à la Schola Cantorum de Bâle en 2020.
Le programme du jeune musicien s’annonce plein de verve et propre à faire entendre toutes les richesses sonores de l’orgue de Saint-Barnard. Deux improvisations encadreront une partie dévolue au répertoire. La première sera une visite guidée de l’instrument : l’auditeur, passant d’un timbre ou d’une famille sonore à l’autre sera invité à découvrir tout ce qui peut « sortir » de ces presque 2500 tuyaux. La seconde, pour clore le concert, renouera avec cette tradition de l’improvisation finale, moment d’exaltation où l’organiste se livre, se détend tout en maintenant le niveau de concentration nécessaire pour maîtriser son geste, imaginant et interprétant dans l’instant une musique jaillie de son cœur et de son âme ! Des thèmes du folklore dauphinois serviront de « matériau » : ils ont été donnés par le groupe Empi & Riaume. Un concerto de Vivaldi transcrit par Bach lui-même, un concerto de Haendel arrangé par Paul Goussot, et deux airs de cantates adaptés aux ressources de l’orgue constitueront le cœur d’un programme conçu pour faire découvrir cet instrument attachant, à la voix claire et vigoureuse.
Jean-Baptiste Monnot devait se joindre à son collègue et ami pour ce concert. Un contretemps l’en a empêché. Saluons Paul Goussot qui reprendra à lui seul les rênes de ce concert inaugural dont le public peut attendre d’importantes satisfactions (entrée libre) !